Quand on dit “produire de l’énergie”, à quoi pense t-on ? A l’électricité issue de centrales ? Au pétrole qu’on extrait ? Car la phrase “produire de l’énergie” est assez erronée ; en réalité, on ne fait que la transformer. Que cela soit du bois, du charbon ou du pétrole en passant par l’électricité, nous ne créons pas d’énergie : nous ne faisons que changer sa forme. Quelque part nous avons appris à détourner, concentrer, accumuler ce que le Soleil ou la Terre nous offrent gratuitement, non sans inconvénients.
Aujourd’hui, ce sont ces conséquences qui nous rattrapent. Le climat se dérègle. Les écosystèmes s’effondrent. Et nous en venons à regarder autrement ces objets qu’on croyait anodins : une voiture, un champ, un transformateur. Se passer des énergies fossiles est une condition sine qua none au maintien de la vie sur Terre avec un recours à des énergies moins carbonées impliquant des adaptations de nos usages, notamment avec l’électrification.
Dans ce monde en mutation, le moindre projet énergétique devient un révélateur des choix de société. C’est le cas en Basse Marche que cela soit pour du photovoltaïque, de l’éolien ou une installation de méthanisation; cela cristallise tensions et interrogations.
Mais que remplace-t-on, exactement ?
Avant les fossiles : des paysages énergétiques vivants
Avant le pétrole, l’énergie venait principalement du bois (chauffage, cuisson), un peu d’hydraulique et … des muscles humains et animaux. En 1850, la France comptait environ 3 millions de chevaux de trait. En Limousin, pour les travaux agricoles, le recours aux bœufs était fréquent. Chaque animal demandait entre 0,8 et 1,2 hectare de cultures fourragères. Une part significative de nos surfaces agricoles servait donc à alimenter la traction, les transports, le travail des sols. On estime qu’avant 1900, 20 à 25 % des terres agricoles françaises étaient dédiées à l’énergie… vivante. (1)
À cette époque, les paysages étaient déjà énergétiques, mais de manière intégrée : haies, prés de fauche et cultures à double usage.
Avec les fossiles : la déconnexion
L’irruption du charbon, puis du pétrole et du gaz, a tout bouleversé. En concentrant l’énergie dans un litre de carburant, on a libéré des bras, des terres, du temps. Mais on a aussi enclenché la société thermo-industrielle : routes, zones commerciales, engrais chimiques, mondialisation.
Aujourd’hui encore, près de 60 % de l’énergie consommée en France (et en Haute-Vienne) provient de sources fossiles. L’électricité, représente environ 25% du total et même si elle est faiblement carbonée, elle ne tombe pas du ciel : elle suppose des matières, de l’eau et des hectares d’installation.
Poser un avis critique sur les énergies renouvelables, ENR (éolien, solaire, bois, méthanisation, géothermie) doit se conformer à un exercice de réflexion : qu’évitent-elles ? Des plateformes offshore ? Des pipelines ? Des raffineries ? Des guerres ? Des sécheresses ?
Le solaire au sol : surfaces, usages et conflits
Prenons un ordre de grandeur simple : produire 1 GWh d’électricité par an nécessite environ 1,2 hectares de panneaux solaires. En Haute-Vienne, la consommation annuelle d’électricité est d’environ 2 TWh (2). Produire cette électricité en solaire au sol demanderait donc plus de 2400 hectares, soit près de 4000 terrains de foot. Ce n’est pas rien. Mais ce n’est pas non plus inaccessible, si les installations sont bien réparties, mutualisées, intégrées.
Si l’on compte toutes les énergies (fossiles + électricité + divers), la consommation s’élève à 12,3 TWh soit l’équivalent de 14 800 hectares.
Ce calcul n’est évidemment pas une réalité tangible, d’une part car cela supposerait d’électrifier l’intégralité des usages et d’autre part, nous ne disposons pas d’une seule source de captation énergétique (ici le solaire) mais plusieurs.
Cependant, il permet de mettre en regard tout de même le sujet de l’usage des sols : en Haute-Vienne nous disposons de près de 300 000 ha agricoles dont 263 000 ha sont destinés à l’élevage et près de 20 000 ha aux cultures pour l’alimentation humaine.(3)
En reprenant le ratio du 19ième siècle, c’est-à-dire 20% des terres dédiées à l’énergie animale, cela mobiliserait 60 000 ha. Nous sommes donc loin des 15 000 ha nécessaires pour nos besoins énergétiques ! L’affaire est conclue ? Pourquoi n’acceptons nous pas de dédier une part modeste de nos terres à l’énergie, fut elle photovoltaïque alors que nous en accordions bien plus par le passé sous forme cultivée ?
C’est qu’au fond, ces sujets ne sont pas qu’un simple aspect comptable, de règle de trois et d’énergie. Cela questionne notre rapport au paysage, à notre histoire, aux biens communs, à la manière dont nous pensons le modèle agricole et plus largement à notre conception de faire société. Ces nouvelles formes de production énergétique, sont-elles des alliés aux cultures et à l’élevage ? Au revenu des agriculteurs ? Ou sont elle à la racine de la perte de maîtrise foncière, la standardisation des pratiques et l’opacité des montages financiers ?
Changer de modèle, pas seulement de source
On se focalise souvent sur ce que l’on va perdre : des paysages, des traditions, une certaine esthétique du territoire. Mais il faut aussi regarder ce que l’on cherche à éviter : l’effondrement climatique, l’empoisonnement de l’air, la dépendance énergétique, les conflits d’usage non concertés.
Oui, la transition énergétique transforme le territoire. Mais l’inaction aussi, plus brutalement, plus injustement. Refuser une installation ne revient pas à préserver un champ, si ce champ est demain victime de la sécheresse ou de l’artificialisation par ailleurs.
Ce qui compte, ce n’est pas seulement quelle énergie on utilise, mais pour qui, comment et à quel prix. Une transition réussie suppose de ne pas reproduire les logiques extractives du modèle précédent. Elle demande des projets réellement partagés, conçus avec les habitants, adossés à des usages locaux, réversibles, sobres. Cet aspect global est souvent la lacune de l’articulation des politiques publiques. Il est facile d’avoir une croissance importante des moyens de production dans le cadre d’un marché libre et ouvert où la rentabilité est de mise mais plus délicat de changer les usages qui demandent de l’investissement de long terme et une équité sociale.
Transformer l’énergie est essentiel, mais cela nécessite aussi de transformer notre rapport au territoire, au vivant, et au collectif.
Un article écrit par Nicolas Picard, co-président de Transitions Limousines, dans le cadre de la collaboration de l’association avec la revue bas-marchoise Mefia Te!
