Si aujourd’hui l’élevage domine le paysage agricole limousin, il n’en a pas toujours été ainsi. En effet, depuis les années 1950, les exploitations agricoles françaises se spécialisent, s’agrandissent et s’intensifient. Ces évolutions structurelles ont conduit à une division par quatre du nombre de fermes en France entre 1970 et 2020, et au passage de la polyculture-élevage à une hyperspécialisation des productions par grands territoires1 : grandes cultures dans le bassin parisien, viticulture dans le bordelais, élevage bovin laitier dans le quart nord-ouest et l’est, élevage bovin allaitant dans le Massif Central…
Les exploitations limousines ont suivi la même tendance qu’au niveau national, passant de 125 000 en 1929 à 45 905 en 1970 et à 11 072 en 2020. En Nouvelle-Aquitaine, en 2020, il y avait moins de 65 000 exploitations agricoles, soit deux fois moins que dans le seul Limousin il y a 100 ans ! Dans le même temps, la surface moyenne d’une exploitation limousine a été multipliée par près de 8, passant d’environ 10 ha en 1929, 25 ha en 1979, pour atteindre 75 ha en 2020. Les productions ont également beaucoup évolué. En 1910, l’agriculture limousine était composée de surfaces cultivées : seigle (14 % de la surface agricole), blé, sarrasin notamment mais aussi pommes de terre (8 % de la surface), topinambours, betteraves… Ce n’est qu’en 1955 que la prairie devient majoritaire, sa surface passant devant celle des terres arables. Entre 1910 et 2010 le nombre de vaches a augmenté de 38 % alors que les bœufs de labour, les ânes et les mulets disparaissaient, supplantés par les machines. Le nombre de truies était lui divisé par quatre : le Limousin était en 1910 l’une des 1ʳᵉˢ régions françaises en production porcine2.
Cette transformation et cette spécialisation des activités agricoles trouvent leur origine dans le changement des conditions techniques et économiques (revenus supérieurs des ménages, développement des moyens de transports, mécanisation, intrants chimiques,…) mais aussi politiques, avec des industries nécessitant une main d’œuvre nombreuse ayant attirées les paysans vers la ville (exode rural) et l’organisation de l’industrialisation de l’agriculture après la seconde guerre mondiale (1ères lois d’orientations agricoles, dont loi “Pisani”3). En Limousin, ces changements ont impulsé le développement de l’élevage et plus particulièrement de l’activité de naissage. En témoigne l’extrait ci-dessous de La vie agricole dans le bas pays limousin d’A. Ombret paru en 1936 dans la Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest :
« Au XVIIIe siècle, l’agriculture est la principale activité dans les campagnes. Le parcellaire est très morcelé, les paysans sont surtout des cultivateurs (blé et autres céréales pour la consommation humaine, raves, vignes, châtaigniers), aussi le bétail est utilisé principalement pour sa force. Chaque paysan a en général 2 à 4 bovins qui sont des bœufs de labour. Ces derniers, après avoir travaillé sur la ferme quelques années, sont engraissés puis vendus pour Bordeaux ou Paris. Les bovins fournissent aux paysans principalement de la force de travail, les ovins de la laine et les porcs la seule viande qu’ils consomment.
Au XIXe, le ferroviaire apparaît, la population des grandes villes s’accroît avec une augmentation de la consommation principalement de viande bovine blanche (veau). Dans les campagnes, les vaches remplacent alors peu à peu les bœufs car en plus de la force de travail elles fournissent du lait et des veaux. La population de bovins et principalement de vaches, a doublé entre 1830 et 1930, corrélé à une augmentation des surfaces en prairies aux dépens des céréales panifiables, des raves et de la vigne. La meilleure rémunération des agriculteurs à travers la vente de viande a permis à ces derniers un meilleur outillage, un meilleur soin aux herbages pour les animaux et ainsi qu’aux arbres fruitiers.
Introduite au XVIIIe, ce n’est qu’au XIXe siècle, après avoir permis d’éviter une famine, que la culture de la pomme de terre devient aussi importante que celle du blé. Son développement, notamment pour l’élevage porcin, supplante la culture de châtaigne qui est peu à peu abandonnée.
L’élevage ovin a lui aussi été réorienté vers des animaux sélectionnés pour la viande et non plus pour la qualité de leur laine.
Dans les territoires plus propices à cette production, les fruitiers qui étaient jusqu’alors principalement mis dans les haies, ou alors dans des vergers peu entretenus, ont été développés sous une véritable forme d’arboriculture au XIXe siècle.
Avant le rail, il n’y avait aucune réelle culture légumière. Chaque paysan avait son “Jardi” destiné à la consommation familiale. La culture légumière connaît un fort essor fin XIXe début XXe siècle, notamment dans les territoires de vignes ravagées par le phylloxéra. De plus, l’industrialisation envoie de nombreuses femmes travailler dans des usines, ayant moins de temps de préparation des repas et permettant l’essor des conserves. Cependant, la culture de légumes nécessitant plus de temps que l’élevage ainsi que des rendements variables selon les aléas climatiques, les paysans ont toujours favorisé l’élevage et ont fortement limité la monoculture légumière. »
La révolution industrielle des années 1970 a encore accéléré cette orientation vers la production bovine et ovine, en améliorant les conditions de travail des producteurs avec l’accès à de nouvelles technologies plus puissantes (issues notamment de la réorientation des industries de guerre), conjointement à une promotion de la consommation de viande au niveau national et européen. Le parcellaire a été remembré pour obtenir des parcelles plus grandes et plus facilement accessibles au gros matériel de culture, le nombre d‘agriculteurs et d’exploitations a très fortement chuté alors que les fermes devenaient de plus en plus grandes et que les terres les moins productives ou les plus difficiles à exploiter étaient abandonnées à l’enfrichement puis au boisement spontané.
« Les productions agricoles de la France » – Carte scolaire Vidal de La Blache N°8 – fin XIXe siècle
Pendant plusieurs siècles, l’agriculture limousine était paysanne et vivrière. Elle se caractérise depuis seulement quelques décennies par sa très grande spécialisation dans la production de viande bovine et plus particulièrement de veaux majoritairement exportés pour être engraissés. Plus marginalement, le nord-ouest du Limousin est marqué par une production ovine et le sud-ouest par la pomiculture.
Cette hyperspécialisation et la forte dépendance aux marchés fragilise l’agriculture limousine : en se spécialisant, la filière s’est renforcée et a maximisé les potentialités locales, mais dans un contexte de changement rapide les alternatives et les adaptations sont complexes voire impossibles. L’agriculture limousine est donc d’autant plus vulnérable aux fluctuations climatiques, à la raréfaction des ressources, aux tensions géopolitiques et à la crise de la biodiversité. Cette spécialisation conduit également à une faible autonomie alimentaire du territoire, notamment en fruits, légumes et céréales. Pour nous nourrir, nous sommes dépendants de flux logistiques eux-mêmes dépendants du pétrole. Aujourd’hui, la majeure partie de notre alimentation est déconnectée du système agricole : nous ne savons plus où et comment ce que nous mangeons est produit.
Après avoir compilé un grand nombre de données et de sources pour réaliser une première version du diagnostic, Transitions Limousines va aller à la rencontre des différents acteurs du secteur “agriculture et alimentation”. L’objectif est d’enrichir nos connaissances et de les confronter au terrain, mais aussi et surtout d’entamer la seconde phase du travail : l’écriture du plan de transformation de l’agriculture et de l’alimentation en Limousin.
Notre ambition : contribuer à bâtir une agriculture plus résiliente en renforçant les liens entre agriculture et alimentation et entre agriculteurs, transformateurs, distributeurs, consommateurs et habitants. Ces liens sont nécessaires pour que les agriculteurs limousins vivent décemment et fièrement d’un travail qui tend à assurer la sécurité alimentaire des habitants du territoire ! L’alimentation est un besoin vital ; nous devons redonner aux agriculteurs qui nous nourrissent une place centrale. Mais parce que l’agriculture n’est pas seulement productrice de nourriture, mais aussi de nombreuses autres aménités (paysages, énergie, eau, biodiversité, matériaux biosourcés,..), venez construire avec nous un plan de transformation pour une agriculture et une alimentation neutre en gaz à effet de serre, robuste face aux crises climatiques et aux tensions sur les ressources, régénérant le vivant et préservant la santé.
Un article rédigé par Chloë, Élodie, Marc, Pierre & Philippe
- Agreste – Concentration et spécialisation en agriculture, à l’aune des recensements agricoles de 1970 à 2020 – Analyse n°199 ↩︎
- Agreste Limousin – 100 ans d’agriculture en Limousin – numéro 97 – mai 2013 ↩︎
- https://revue-histoire.fr/histoire-contemporaine/la-modernisation-de-agriculture-francaise-apres-la-seconde-guerre-mondiale/ ↩︎