Les forêts poussent, doucement 

Cet article est le premier de la série écrite en partenariat avec le journal local indépendant Mefia Te !, pour aborder les sujets des transitions au fil de ses quatre prochains numéros. Vous pouvez le retrouver dans le numéro 20 du journal, à l’occasion du dossier consacré la forêt bas-marchoise.


Sur les chemins du nord Limousin, un paysage très arboré se dessine. Il peut paraître immuable et l’héritage d’un passé forestier. Mais, comme bien souvent, la situation est plus complexe. Remontons dans le passé voir d’où viennent ces forêts et en quoi cette histoire marque les futurs possibles.

Comme presque partout en France hexagonale, la couverture forestière post glaciaire a été largement défrichée pour répondre aux besoins agricoles et pour marquer l’emprise de la “civilisation” sur la “sauvagerie” hostile que représentaient les forêts au Moyen Âge. L’industrie naissante et les besoins d’une population croissante ont mené à un minimum de couverture forestière à la Révolution française, avec 6 à 8 millions d’hectares soit environ 16% de la surface du territoire national de l’époque. Le nord Limousin n’échappe pas à cette situation et le paysage était assurément beaucoup moins arboré qu’aujourd’hui. 

Des lois plus restrictives sur les coupes et usages des forêts, notamment limitant leur pâturage, ont rapidement conduit à une stabilisation du couvert puis à son extension. L’utilisation du charbon au lieu du bois dans l’industrie et l’amélioration des rendements agricoles ont aussi largement réduit la pression sur les forêts. Par la suite, la couverture forestière n’a cessé de s’accroître pour atteindre plus de 17 millions d’hectares actuellement (31% de la superficie du territoire actuel).

La forme de l’arbre indique qu’il a grandi isolé, dans une prairie qui est en cours de reboisement spontané.
(©Marc Deconchat ; Cromac, 2022)

Après la Seconde Guerre mondiale, l’expansion forestière s’est accélérée sous l’effet d’une forte et rapide déprise agricole induite par l’énorme augmentation des rendements des cultures. Les terrains les moins fertiles sont dédiés aux herbages pour l’élevage et quand celui-ci recule ou se concentre dans des fermes hors sol, les prairies abandonnées se reboisent naturellement et spontanément en quelques décennies. Les nombreux murets et talus qui se rencontrent en forêt, ainsi que certains arbres au port typique des milieux ouverts, sont les traces des anciennes limites des prés. Les photographies aériennes anciennes1 montrent clairement cette évolution qui a conduit à un enforestement rapide des régions les moins propices à l’agriculture, comme les zones montagneuses. C’est le cas dans une grande partie du Limousin. Loin de disparaître en France, la forêt est donc en expansion, contrairement à beaucoup d’autres parties du monde. Parallèlement les remembrements ont souvent conduit à des destructions de haies et d’éléments bocagers. Mais comme les haies conservées ont été bien moins exploitées que par le passé, elles se sont souvent épaissies et elles abritent aujourd’hui de plus gros arbres, ce qui donne l’impression d’un paysage plus fortement arboré qu’il y a 70 ans.

Comparaison de paysage entre 1959 et 2020 près de Peyrat de Bellac. 1) zone de boisement massif ; 2) zone de boisement diffus par extension des forêts existantes ; 3) disparition de certaines parties de haies et épaississement d’autres parties (source: remonterletemps.ign.fr)

En Limousin, les plantations d’arbres sur les terres agricoles représentent pratiquement la moitié de l’expansion forestière (Plateau de Millevaches et Monts d’Ambazac). Du point de vue légal, les plantations restent considérées comme des forêts, même si les conditions écologiques qu’elles produisent sont souvent bien éloignées de celles observées dans les forêts spontanées.

Une caractéristique importante pour l’écologie des forêts est leur âge. Il faut bien distinguer l’ancienneté de la forêt, c’est-à-dire depuis combien de temps une portion du territoire est boisée, et la maturité des arbres qui composent la forêt. On peut donc avoir des forêts anciennes avec des arbres jeunes parce que ces forêts ont été exploitées pour leur bois. D’un point de vue écologique, les forêts anciennes2 et les peuplements matures sont rares et abritent une faune et une flore qui méritent une attention particulière. Près de Bellac c’est notamment le cas pour le massif du Bois du Roi ou le Bois de Sainte Anne.

Dans les autres forêts, plus récentes et souvent avec des peuplements moins matures, les conditions écologiques forestières sont en cours d’établissement, notamment au niveau de la composition du sol. Comme beaucoup de ces forêts se sont constituées dans la même période, elles arrivent à un stade de développement propice à leur exploitation : il est logique qu’on assiste à une augmentation des surfaces en coupe de récolte de ces bois. 

Le nord Limousin fait partie de la sylvo-région “marches du Massif central” définie par l’Inventaire forestier national3 comme étant homogène des points de vue écologique et forestier. Les inventaires récents montrent que la forêt est essentiellement spontanée, parce ce qu’issue de déprise agricole et donc relativement récente, dominée très largement par les feuillus (chênes) et quasiment complètement privée. Elle occupe 16% de la sylvo-région (sans compter les espaces arborés bocagers) contre 34% pour l’ensemble du Limousin. Aujourd’hui, plusieurs documents, chapeautés par le schéma régional de gestion sylvicole4, existent et fixent des pratiques de gestion forestière – mais ils ne s’appliquent pas à la totalité de la forêt privée et sont sujets à caution.

Du point de vue économique, si la filière bois est globalement très développée en Limousin, elle est beaucoup moins active dans la zone nord. Il n’y a pas de grosses entreprises et le nombre de petites unités de transformation, comme les scieries, a fortement diminué. L’auto-consommation et la vente directe de proximité, hors circuit commercial, restent dominantes, en particulier pour le bois bûche destiné au chauffage domestique.

Face aux changements climatiques et à la dégradation de la biodiversité, les forêts vont jouer des rôles essentiels, tant pour stocker du carbone dans les arbres et les sols que pour produire des matériaux biosourcés en substitution à d’autres matériaux plus impactants, ou/et comme abri pour une part essentielle de la faune et de la flore. Des évolutions fortes et rapides, volontaires ou subies (stress hydrique, sécheresse de plusieurs mois, hivers trop doux, aléas économiques…), vont très probablement affecter les forêts et les activités qui y sont associées. Plusieurs scénarios, comme Afterres20505, mettent en avant le rôle particulier qu’auront les zones où la foresterie est actuellement peu développée, comme dans le secteur de Bellac. Une nouvelle page de l’histoire riche des forêts est en train de s’écrire et ces milieux souvent délaissés, symboles d’une déprise agricole subie, pourraient devenir des éléments essentiels pour des projets de territoires cohérents et adaptés aux défis actuels. Il est urgent que les habitant.e.s se forment, s’informent et s’emparent des questions liées à l’avenir des forêts pour faire entendre leurs points de vue dans les transitions qui se dessinent.

Un article rédigé par Marc, amendé par Yves, relu par Emelyne et Christine, corrigé par Lucile

  1.  https://remonterletemps.ign.fr/ ↩︎
  2. https://obv-na.fr/foret-ancienne ↩︎
  3. https://inventaire-forestier.ign.fr ↩︎
  4. https://nouvelle-aquitaine.cnpf.fr/gestion-durable-des-forets/documents-de-gestion-durable/le-schema-regional-de-gestion-sylvicole ↩︎
  5. https://afterres2050.solagro.org/ ↩︎
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